Notre vie avait-elle irrémédiablement basculé ? Ne serait-elle plus jamais comme avant ? Étrange, cette notion d’avant et d’après. Je sentais que nous venions de perdre quelque chose d’essentiel. Aucune projection dans l’avenir. Aucun espoir. Rien. Le vide. Une ombre planait désormais sur notre vie. Et j’avais peur. Mais cette peur, je devais la canaliser, l’étouffer, l’éloigner, je ne pouvais me permettre de me laisser engloutir.
Un seul instant suffit-il à faire basculer toute une vie ?
J’ai longtemps attendu avec de relire Agnès Martin-Lugand. J’avais lu Les Gens heureux lisent et boivent du café en terminal. J’ai adoré. J’ai ensuite lu La vie est facile, ne t’inquiète pas, qui est la suite du premier et j’ai été déçue. Il m’a fallu six ans avant d’avoir à nouveau l’envie de retrouver des personnages brisés mais qui s’en sortent, avant de lire des introspections si bien décrites qu’on n’est même pas surpris de s’identifier aux personnages.
Six ans après, j’ai donc lu Nos Résiliences, qui est à ce jour le dernier roman de l’autrice. Je suis ressortie bouleversée de cette lecture. Si je devais comparer l’écriture d’Agnès Martin-Lugand avec un autre art, je choisirais l’aquarelle. Sentiment sur sentiment, description des failles, des fêlures, sur descriptions des espoirs perdus, on a l’impression que se dessine le tableau de nos vies, dans des tons pastelles que l’on peut choisir de foncer ou presque d’effacer (mais qui resteront toujours un peu visibles). L’écriture de l’autrice, comme l’aquarelle, regorge de sensibilité et de subtilité.
Le roman est écrit du point de vue d’Ava, galeriste d’art, mère de deux enfants et épouse de Xavier. La vie semble simple et évidente jusqu’au jour où Xavier a un accident de moto tard le soir sur le chemin du retour alors qu’Ava est en plein vernissage à la galerie. A partir de là, leurs vies basculent. Le quotidien se transforme en hôpital, rééducation angoissante et création de nouveaux repères. Mais surtout, Ava doit faire face au caractère changeant de son mari qu’elle ne reconnaît pas et qui l’inquiète. Est-elle encore capable de l’aimer ? Comment surmonter tant d’épreuves ?
Ava fait des rencontres, notamment celle de Sasha. Sasha est le mari de Constance. Constance est la cycliste que Xavier a renversé lors de l’accident. Ava et Sasha se battent d’abord froid puis dans cette situation si étrange, presque absurde pour Ava, ils apprennent à se connaître. Ava comprend que les réponses à ses questions et la solution pour passer au-dessus de cet accident ne réside pas au strict sein de son couple. Elle faut qu’elle voit plus large et qu’elle accepte l’aide extérieur.
Il y a peu de personnages, mais ils sont si bien fouillés ! En mettre plus aurait rendu ces analyses fades et superficielles. Le dosage est parfait.
Agnès Martin-Lugand décrit à merveille les sentiments humains. Elle pose le doigt sur les petits détails de la vie qui rendent son récit si justes. Ces détails matériels mais aussi ces détails de pensée, ces choses inavouables qu’on se dit des fois, ces réflexions qui nous font culpabiliser. Dans les romans d’Agnès Martin-Lugand, l’humanité n’a rien de merveilleuse, de généreuse, comme l’amour n’a rien de superbe ni d’idyllique : tout est vrai, sans sa version aussi parfaite qu’imparfaite.