New York est sur le point d’échapper à Cléo. Elle ne s’est pas fait d’amis aux fêtes qu’elle fréquente, son visa étudiant va bientôt expirer et elle n’a même plus de quoi payer ses cigarettes. Le retour à Londres et l’échec que cela représente se rapprochent chaque jour. Mais voilà qu’elle rencontre Frank. Il a vingt ans de plus qu’elle, des amis, du succès, de l’argent et la nationalité américaine.
S’il y a quelque chose que je n’ai pas compris de ce roman, c’est la raison pour laquelle il est décrit comme une comédie romantique. Je l’aurais personnellement qualifié de drame… Tout est dramatique : les relations, les vies, les espoirs, les actions. Les personnages sont tous adeptes, parfois malgré eux, de la fuite en avant et ne parviennent pas à se remettre sur le droit chemin. On assiste, impuissant, à la déchéance de nombreuses existences.
Cleo et Frank se rencontrent un soir de Nouvel An et se marient six mois plus tard. Voyant la rapidité de cette décision et leur différence d’âge (Cleo a la vingtaine tandis que Frank est quadragénaire), je m’imaginais que le ton du roman tournerait autour de la vitesse à laquelle ils ont décidé de s’engager, que tout le monde le leur reprocherait, mais qu’ils prouveraient au monde entier qu’ils étaient sûrs de leur choix et qu’ils s’aimeraient toujours.
Eh bien non. Cleo et Frank sont tous les deux abîmés, avec des schémas familiaux instables et des passés obscurcis par l’abandon et les dépendances. Alors que tout semble bien commencer, rapidement, leurs démons les rattrapent et le mariage semble s’enliser. Au-delà des amis de mauvais conseils, une relation saine semble bien plus compliquée à entretenir qu’il n’y paraissait. On les voit sombrer peu à peu dans le malheur, l’incompréhension et le mariage s’effondre en moins d’un an.
Coco Mellors alterne les points de vue et les chapitres. Parfois, nous suivons Cleo et Frank, parfois leurs amis. On se rend compte ainsi que Quentin, Anders, Santiago, Zoe sont tous brisés eux aussi et que finalement, les comportements de Cleo et Frank s’apparentent à de la reproduction sociale. Ils n’arrivent pas à s’extirper de leur milieu dont ils sont victimes presque malgré eux.
Pourtant, malgré l’enlisement de leurs destins, on reste accrochés aux pages en se demandant toujours comment les personnages peuvent se sortir de ce sac de nœuds. Parfois, je me suis sentie mal à l’aise, au bord d’un voyeurisme malsain en lisant cette histoire où rien ne va, de cœurs et d’existences brisés auxquels il manque des années de thérapie.
Le roman m’a un peu fait penser à Madame Bovary : comme Flaubert, Coco Mellors met en scène une Cleo qui attend que la vie lui donne quelque chose, cherche sa propre valeur dans le regard des hommes ne le trouvant plus dans le regard de son mari, (mari avec une bonne situation, tout comme Charles Bovary, mais qui ne sait pas valoriser sa femme) et sombre dans l’ennui puis dans une mélancolie destructrice.
Pour conclure, Cléopâtre et Frankenstein est un roman intéressant qui fait réfléchir une fois refermé. Il peut parfois mettre mal à l’aise, mais je préfère un roman qui crée un sentiment, même désagréable, qu’un roman qui me laisse de glace. Je ne crierai pas au génie, mais au moins l’autrice interroge avec brio la condition humaine de cette jeunesse américaine suffisamment riche pour se défoncer à longueur de journée, mais pas assez intellectuelle pour en analyser les effets.