Nombre de femmes et d’hommes qui cherchent l’épanouissement amoureux ensemble se retrouvent très démunis face au troisième protagoniste qui s’invite dans leur salon ou dans leur lit : le patriarcat. Sur une question qui hante les féministes depuis des décennies, et qui revient aujourd’hui au premier plan de leurs préoccupations, celle de l’amour hétérosexuel, ce livre propose une série d’éclairages.
Au cœur de nos comédies romantiques, de nos représentations du couple idéal, est souvent encodée une forme d’infériorité féminine, suggérant que les femmes devraient choisir entre la pleine expression d’elles-mêmes et le bonheur amoureux. Le conditionnement social subi par chacun, qui persuade les hommes que tout leur est dû, tout en valorisant chez les femmes l’abnégation et le dévouement, et en minant leur confiance en elles, produit des déséquilibres de pouvoir qui peuvent culminer en violences physiques et psychologiques.
Même l’attitude que chacun est poussé à adopter à l’égard de l’amour, les femmes apprenant à le (sur ?) valoriser et les hommes à lui refuser une place centrale dans leur vie, prépare des relations qui ne peuvent qu’être malheureuses. Sur le plan sexuel, enfin, les fantasmes masculins continuent de saturer l’espace du désir : comment les femmes peuvent-elles retrouver un regard et une voix ?
Dans cet ouvrage qui a reçu les Prix de l’essai 2021 des Inrockuptibes et le 44ème prix européen de l’essai, Mona Chollet développe l’idée que les femmes et les hommes, au sein de leur couple, se retrouvent confrontés à un élément tierce : le patriarcat.
D’après Mona Chollet, la société patriarcale dans laquelle nous évoluons tend à cantonner la femme dans un rôle de femme-objet ou du moins de femme obéissante. Sans rejeter la faute sur les hommes, l’essayiste explique que le carcan sociétal façonne nos relations et les codifie sans que nous ne nous en rendions compte ou sans que nous puissions intervenir dessus.
Mona Chollet ne se contente pas de nous expliquer que les femmes sont aisément réifiées dans leurs relations ou par la société, elle développe aussi tous les problèmes dans l’éducation masculine qui mène à l’organisation de notre société.
En plus d’être malmenées en amour ou oubliées une fois assassinées, les femmes sont considérées comme les êtres aimants, détentrices des codes de l’amour. Alors rivales entre elles, elles s’opposent aux autres femmes pour accéder à l’amour et “décrocher” l’homme de leur vie.
Enfin, dans une ultime partie, l’autrice explique que la femme qui pense comme l’homme est déféminisée. Ainsi, avoir des fantasmes serait réservé aux hommes car seules les femmes peuvent faire l’objet de fantasme. Il serait donc malvenu pour une femme de projeter des fantasmes sur l’homme : l’homme qui pense, l’homme qui imagine (et détient les clefs du monde de l’imaginaire), alors que la femme ne peut avoir de libre-arbitre, lequel serait en contradiction avec la nature profonde de l’homme. Elle ne peut donc pas projeter ses désirs car elle n’est pas censée en avoir, sous réserve d’être considérée comme un être déviant.
Une fois Réinventer l’amour refermé, on a tout d’abord du mal à digérer la quantité d’informations et la qualité des recherches de Mona Chollet. Ensuite, on s’étonne de la mise en relation de tous ces mécanismes que nous connaissons individuellement mais qui, reliés les uns aux autres, dessinent un schéma/carcan patriarcal bien organisé et dont nous dépendons sans même nous en rendre compte car nous les avons intégrés/intériorisés dès le plus jeune âge et que la société les entretient. Considérés ensemble, ces mécanismes forment un piège culturel tissé comme une toile d’araignée au fur et à mesure de nos vies et dont nous aurons de plus en plus de mal à nous extirper si nous essayions de nous en libérer. S’ajoute à cela la considération du regard des autres qui peut freiner nos désirs de réflexion d’émancipation et de déconstruction.
Avec ce riche essai, Mona Chollet nous offre des clefs de lecture et de compréhension sur beaucoup de sujets et nous oriente vers des pensées déconstruites. J’admets avoir été un peu déconfite de toutes ces situations à la fin de ma lecture et me suis retrouvée à me dire que la tâche à mener pour ne serait-ce que limiter les impacts du patriarcat était insurmontable. Toutefois, il s’agit d’un essai édifiant et utile à lire à tête reposée.